Une histoire qui débute en Occident au XVIIIème siècle et qui durera jusqu'à 1930.
Le XVIIIème siècle est le siècle des libertins y compris en matière sexuelle, qui cumule avec les écrits du Marquis de Sade, et le quasi catalogue de toutes les perversités humaines. Justine ou les malheurs de la vertu, le livre somme, est publié en 1791, déjà à l'heure de la révolution française. Je me souviens de sa découverte émue et coulante dans ma chambre d'étudiant, un vrai choc des sens et de l'esprit. Et au passage, je ne peux que vous conseiller de lire l'autre ouvrage que j'adore La philosophe dans le boudoir, qui révèle toute la plume de Sade. Car Sade est avant tout un excellent écrivain, avant d'être un pervers.
Non alors que le libertinage triomphe en ce XVIIIème siècle, un mouvement de fond prend naissance au même moment qui va dominer la sexualité des hommes en Occident, jusqu'à la démédicalisation de la sexualité en 1930. Ce mouvement réprime en particulier la masturbation - que Sade glorifiait comme la sodomie - comme source de tous les maux. C'est pour tout vous dire un mouvement d'origine médicale et non religieuse, bien qu'à l'époque il n'y avait as de frontière claire entre la médecine et la religion.
Ce mouvement débute donc en 1712 par la publication d'un pamphlet anonyme en Angleterre nommé : Onania; or, The Heinous Sin of Self-Pollution, and all its Frightful Consequences in Both Sexes. Quelque chose comme : Onania, ou le péché infâme de la souillure de soi. On y voit pour la première fois apparaitre le terme d'onanisme, qui, s'il parait désuet maintenant, désignait pour toute cette période la pratique solitaire de la masturbation.
Onan est un personnage du vieux testament. Il est marié et sa femme meurt. Selon la tradition, il prend donc en deuxième noce la soeur de sa femme décédée. Mais il refuse de lui donner des enfants, en pratiquant le coït interrompu et donc en lâchant à chaque fois, sa semence sur le sol. Cela déplait à Dieu et il meurt.
Donc la masturbation déplait à Dieu. C'est prouvé : c'est dans la bible ! Et donc il faut prévenir à tout prix cette pratique solitaire, qui est tabou aux yeux de Dieu. C'est bien connu la masturbation rend aveugle ! Je me souviens d'un livre du début du XXème siècle trouvé dans un grenier et qui s'appelait : la prévention de l'onanisme chez les jeunes scouts.
Bon je passe sur "l'escroquerie intellectuelle" qui passe du coit-interrompu à la masturbation, voire à l'invalidité même de la pratique d'Onan. Je ne peux que vous conseiller cet excellent article. Il n'empêche dans l'histoire d'Onan se trouve la source de toute les interdictions religieuses (catholique, protestante, juive et musulmane - puisque l'ancien testament est reconnu par toutes ces religions) pour toute les pratiques sexuelles n'ayant pas pour but la procréation et pour des siècles et des siècles.
Bon revenons à notre masturbation, le véritable best-seller est publié en 1760 par le Dr Tissot, citoyen suisse devenu médecin de pas mal de cour européenne : L’onanisme, essai sur les maladies produites par la masturbation. Et sans cesse republié jusqu'au début du XXème.
Qu'est-ce que dit ce bon docteur Tissot, que la masturbation apporte son lot de pathologies, certaines même morbides. La masturbation rend l'homme « pâles, efféminés, engourdis, paresseux, lâches, stupides et même imbéciles ». En ce masturbant les hommes (et les femmes) se détournent de la reproduction, et s'adonnent à des plaisirs mortifères pour eux et la nation.
C'est que derrière la naissance de ce mouvement, se cache une inquiétude plus profonde, celle du stagnation de la population, et la fin de l'espèce du XVIIème siècle et début du XVIIIième. Que cette stagnation ait historiquement pour origine les guerres et les maladies comme la peste qui a longtemps n'importe pas. La cause sur laquelle tout le monde se met d'accord est la perte de virilité des hommes et leur détournement de la seule reproduction. La masturbation - masculine et féminine - est tenue pour responsable, comme les coits interrompus ou la sodomie.
C'est une fausse image de l'humanité. Au XVIIIème siècle avec les progrès de l"hygiéne, de l'agriculture et la disparition des grandes épidémies, la population européenne explose (+30% en France, +100% en Angleterre, Espagne, Italie, +400% en Russie). N'empêche que la mal est fait et il régira la sphère sexuel pour les 150 ans à venir.
En clair, le seul leitmotiv qui surnage c'est que la masturbation est une maladie gravissime qui atteint au futur de l'espèce humaine. Nous sommes là loin de la masturbation qui rend sourd (ou non).
A partir de ce moment une lutte "médicale" contre la masturbation se met en place dans les pays occidentaux. Il est de l'avenir de la race. Avec 2 phases, de la prévention on glisse peu à peu vers la répression au cours du XIXème siècle.
La prévention donc d'abord. C'est à cela que sert le corset du Dr Jalade-Lafond qui prend bien soin que le dit corset ne contraigne pas physiquement le patient. Une véritable propagande anti-masturbation se met en place. On enseigne aux jeunes gens et jeunes filles, oh combien, cette pratique est détestable et pleine de risques dans l'espoir qu'ils l'évitent. On se met à soupçonner l'effet de contagion qu'apporterait la vie en collectivité dans les pensionnats.
« Tous les élèves d'un collège trompaient quelques fois, par une détestable manœuvre, l'ennui que leur inspiraient les leçons […] qu'un très vieux professeur leur faisait en dormant »
Article Masturbation dans le Dictionnaire des sciences médicales - 1819
On transforme les collèges et pensionnats où l'ennui, la promiscuité et l'effet de foule, entraînent des classes entières dans le vice. On met le sport à l'honneur pour détourner l'énergie des jeunes hommes. L'espace est réorganisé pour garder un oeil en permanence sur les garçons, grand dortoir, surveillants en permanence et même la suppression ou l'ajourement des portes des toilettes. Il doit tout être fait pour qu'un garçon ne puisse être seul ou se soustraire aux regards pour se livrer au vice.
Mais bientôt la prévention atteint ses limites. La masturbation bien que prohibée n'est pas éradiquée. Alors vient le temps de la répression qui est rentrée dans notre imagerie populaire. C'est le temps des gouvernantes, des surveillants, des dispositifs de contraintes, des châtiments corporels pour celui qui se fait prendre voire même dans certains cas, l'enfermement en asile. Malheur à celui qui se fait prendre à se masturber ! Et en plus tout cela est pour le bien de l'enfant...
Le masturbateur découvert est châtié par des moyens de plus en plus sévères alors que le siècle avance. Il se met même en place des mesures médicales préventives qui perdurent encore d'une certaine manière actuellement. Sur tout cela nous reviendrons, dans des prochains articles.
Finalement c'est pendant cette période de répression sexuelle que se développe la sexologie. Le XIXème siècle est l'inventeur du vibromasseur thérapeutique. La médecine étudie les pratiques sexuelles anormales comme autant de maladies qu'il faut combattre et vaincre. La psychiatrie naissante à la fin du XIXème rejoint ce combat.
Tout ce qui ne vise pas à la stricte reproduction est fermement condamné et combattu. Le Dr Pouillet en dresse un terrifiant catalogue en 1897, distinguant :
Les « abus génitaux » :
L’accomplissement ou la tentative d’accomplissement de l’acte génital d’une façon irrégulière, anormale, hors nature, en un mot, sans qu’il ait pour but la reproduction de l’espèce, constitue l’abus des organes de la génération, quels que soient l’âge et le sexe du sujet qui agit, et quelles que soient les causes [...]. Nous divisons les abus génitaux [...] en quatre classes : la bestialité [i.e. la sodomie], le coït incomplet, les coïts extragénitaux et la masturbation.
Les « excès vénériens » :
La répétition du coït normal, physiologique, en dehors d’un véritable besoin naturel, constitue l’excès vénérien, que cette pratique immodérée soit sollicitée par les ardeurs de l’imagination ou par l’usage d’excitants spéciaux.
Nous considérons, nous, le coït buccal et ses manœuvres – l’irrumation [cest à dire poussé à son terme jusqu'à la sortie du sperme] et la fellation – comme des crimes de lèse-nature, comme des actes dégradants et indignes de l’humanité qu’ils abaissent au-dessous de l’animalité. Il n’est point d’excuses à de semblables hontes, et quoi que disent les casuistes sur cette matière, nous sommes persuadé qu’il est du devoir de tout moraliste de signaler de telles turpitudes pour les stigmatiser comme elles le méritent.
Et puis le temps passe, le XXème arrive, les esprits s'éduquent et peu à peu la croisade anti-masturbation perd de son intensité jusqu'à finalement quasiment disparaitre arrivé dans les années 30. La sexualité se démédicalise enfin.
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